• Episode 29 : Maurice au vert

    Episode 29 : Maurice au vert

    Le lendemain, j’entends gratter à ma porte. J’émerge du sommeil en me demandant un instant où je suis. Les images, les sons de la soirée me reviennent. Le piano, le puits de lumière, Maurice.

    -         Oui ?

    -         Ça te dit de faire le petit-déjeuner dehors, la captive ?

    -         Oui, j’arrive.

     Passer la nuit chez des personnes qu’on connaît peu. Une intimité qui n’a rien de naturelle chez moi.

     Je saute dans mes habits. Je sors de la chambre. Maurice est là qui me tourne le dos. Je file dans la salle de bain pour ôter cette sensation de sommeil sur mon visage. Repos agité, les cheveux coiffés comme l’as de pique, les yeux gonflés. « Ma fille, tu ressembles à tes rêves ! », aurait dit Blanche. Je rejoins Maurice dans le coin cuisine.

    -         Tu joues au piano depuis longtemps ?

    -         Depuis la nuit des temps !

    Il me fait face avec une sourire enfantin et contagieux.

    -         Depuis très longtemps en tout cas. Il y a toujours eu un piano chez mes parents. Aussi loin que ma mémoire remonte, je me vois tapoter les touches en ivoire. C’est une sorte de compagnon dont je ne sais me séparer.

    -         Tu t’entendrais bien avec un de mes amis.

    -         Marco ?

    -         Oui… Comment le sais-tu ?

    -         Je me suis renseigné sur lui après votre visite et puis, par curiosité, je suis allé le voir en concert un soir.

    -         Ah bon ?!

    -     Oui, il m’a reconnu et nous sommes allés boire un coup après le concert. Nous avons en commun un lien à la musique quasi pathologique. Nous avons terminé comme il se devait, lui à la guitare, moi au piano.

    Il se tait, en train de chercher quelque chose en mémoire.

    -      Nous avons joué un morceau de Junip qui s’intitule « Your life your call ». On a cherché pendant quelques instants et puis on s’est lancé. En version instrumentale. J’ai eu un plaisir immense à partager cette impro. Il y a peu de gens avec qui j’ai en commun cette passion de l’instrument.

    -         Marco ne me l’a pas dit…

    -      Je le lui avais demandé. Tiens, prends ça et descendons. Et pas de portable, Hannah.

    Il me donne un plateau à porter. Nous redescendons dans le garage. Je pense à Marco et Maurice dans un bar en train de faire un bœuf ensemble. J’aurai aimé être là. En bas, une autre porte mène au jardin. Des murs végétaux rendent cet endroit invisible aux regards indiscrets. Maurice a déjà installé une nappe sur l’herbe, là où le soleil offre ses rayons et sa chaleur matinale.

    -         Un pique-nique petit-déjeuner. Sympa comme concept ?

    J’acquiesce joyeusement. Il me verse un thé avant de se servir. Je m’allonge à côté de la nappe, trop heureuse de pouvoir goûter le soleil. Il reste assis. Nous nous taisons un instant. Silence un peu gêné, entre deux personnes qui ne se connaissent pas et qui n’ont qu’un sujet en commun.

    -         Tu ne m’as pas trop apprécié au départ, Hannah?

    -         Eh bien, non si je peux être sincère.

    -         Je t’en prie…

    -    J’étais très angoissée par ce que je venais de découvrir chez mes parents, et tu ne voulais rien m’en dévoiler. Tu avais l’air un peu suffisant et totalement indifférent à notre désarroi. Non, tu ne m’étais pas sympathique. Désolée.

    -  Non, ne t’excuse pas. Je fais souvent cette impression. Et maintenant ?

    J’émets un rire discret.

    -    Et maintenant, tu m’es sympathique. Tu es celui qui va me permettre de retrouver les assassins de mes parents. Je peux te poser une question à mon tour?

    -         Oui, Hannah.

    -     Mais si tu ne veux pas me répondre, je ne serai pas vexée. Donc voilà ma question : pourquoi travailles-tu pour EMET ?

    Il relève le visage, regarde au loin comme si cela l’aidait à regarder le passé. Ce voyage dans le temps le laisse un long moment silencieux.

    -         Eh bien, après mes études d’ingénieur, je suis parti vivre en Israël, et par les hasards de la vie, je me suis retrouvé à travailler dans une agence de renseignements.

    -         Une agence de renseignements ?

    -         Détective quoi… Mais en plus sérieux.

    -         Sérieux ?

    -         Du renseignement industriel si tu veux.

    -         Fichtre ! Et pourquoi en Israël ?

    -         Plus de parents. Une fois mes études terminées, je me sentais vide, en mal de repères, je voulais m’apaiser, me sentir chez moi quelque part.

    -         Ça a été le cas ?

    -       Non pas vraiment. Mais je sais à présent que nulle part ne sera chez moi, comme une malédiction, mais la différence maintenant, c’est que cela me convient.

    -         Combien de temps es-tu parti?

    -  T'es de la Stasi? Quelques années. Et puis mes compétences acquises, je me suis dit que je pouvais les employer à faire autre chose, un truc qui me plairait plus. C’est lors d’un de mes voyages en Bélisie, à un repas de famille que j’ai rencontré pour la première fois Léon. Il venait d’apprendre que la fameuse secrétaire avait dévoilé des choses à Blanche et il en était tout excité. Nous fumions une cigarette tous les deux sur le balcon et il a commencé à me parler d’EMET. Il n’aurait pas dû mais il était un peu rond ce soir-là. De mon côté, j’ai eu comme un coup de foudre pour le projet, pour le personnage. Je repartais en Israël le lendemain mais ma décision était prise.

    Je me laisse naviguer  dans les traboules du passé, pour me retrouver avec lui et Léon sur cette terrasse. J’imagine aussi mes parents en train de discuter avec cette femme dont je ne connais pas le visage et qui fut tuée pour avoir parlé. Que se passe-t-il pour que quelqu’un redresse le dos et ose affronter sa peur, comme ce fut le cas pour cette femme? Maurice continue.

    - En deux mois, j’avais recruté deux autres spécialistes du renseignement intéressés par le projet, un budget pour s’équiper de manière adéquate et je suis revenu définitivement à Petrys.

    -         Et ensuite ?

    -    Eh bien, nous avons travaillé à EMET. J’ai fait connaissance des autres membres de l’association que je ne connaissais pas et en particulier de ta mère. Comme pour Léon, elle a pris une place très importante dans ma vie. Elle me parlait de Mila, de toi, et de mon côté, grâce à elle, je réussissais à parler de moi, de mes parents, du manque que j’avais à ne plus les avoir dans ma vie. Je n’en avais jamais parlé auparavant ! Elle m’écoutait, me guidait, me faisait rire. Je n’avais pas ri depuis longtemps… J’ai beaucoup aimé ta mère.

    -         Aimé ?

    -     Comme une seconde mère, que je te piquais. Désolé. Pour elle, je crois qu’il y avait une sorte de culpabilité à devoir vous cacher cette partie de sa vie, une frustration à ne pas pouvoir le partager avec vous et me parler lui permettait de combler quelque part ce sentiment, ce vide.

    -    Nous ne saurons jamais la vérité. Mais en effet, j’ai l’impression que vous étiez très proche. Nous ne l’étions pas beaucoup, je le regrette ainsi que les reproches à peine voilés que je lui faisais. En fait, je ne sais pas si je ne suis pas un chouïa jalouse quand même.

    -     Enfin rassure-toi quand même, il y a une chose sur laquelle on se disputait souvent.

    -         Ah oui ? Laquelle ?

          -      Votre éducation de goy.

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