• Episode 31 : la fin ou le début...

    Episode

    Merci à JeanLuch pour cette photo

    Je reste là, à tourner comme un tigre en cage dans cette demeure magnifique. La journée me semble infernale Même le jardin, pourtant si charmant ce matin en compagnie de Maurice, me parait étouffant avec son enceinte couverte de plantes, comme une ceinture oppressante qui m'enserre.

     Je tente de lire le dossier qu’il m’a laissé. Je survole les premières pages. Il veut commencer à me former à mon futur emploi. Homme pragmatique. Mais mon esprit, envahi par cette angoisse à ne pas savoir ce qui se passe en dehors de ces parois, ne parvient pas à se poser sur ces mots écrits, comme si mes pensées fusaient et rebondissaient sur les murs m’entourant, s’entrechoquant au hasard de leurs trajectoires. Et mon esprit, incapable, se laisse ronger par des pensées tour à tour sombres ou euphoriques. 

     

    Le téléphone fixe sonne, je ne sais pas si j’ai le droit de répondre. L’homme pragmatique a oublié ce menu détail. Je reste pétrifiée. La sonnerie s’arrête pour reprendre quelques instants plus tard. Au bout de la cinquième fois, je n’y tiens plus, je décroche. Maurice à l’appareil.

    -        Hannah, prépare-toi à sortir. Je passe te prendre dans deux minutes. Prends ton téléphone.

    Il raccroche. Je sais que l’affaire est dénouée. Comment ? Là réside l’inconnu. Je sens des larmes coulées que je n’essaye point de retenir. Je me regarde dans un miroir pour essuyer les traces noires sous mes yeux comme j’effacerais des barreaux d’une prison dessinés sur mes joues. Le soulagement pour moi, pour Mila, pour mes parents. Une vie, la leur, passée à traquer des assassins. L’émotion m’étreint, je n’ose me montrer ainsi et pourtant il faut que je sorte.

     

    Je descends. La voiture de Maurice m’attend déjà. Il sort. Mes jambes me portent à peine. Je tombe dans ses bras. Le coeur en éclat. Il pleure aussi. Nous séchons nos larmes mutuellement, entre deux rires mouillés. A le serrer contre moi, j’ai l’impression de serrer Josef et Blanche. Une ronde de visages défile dans un regard imaginaire: mes parents, Maurice, Léon et ceux d'EMET, pour revenir sur ceux de Blanche et Josef. L'image se stabilise. Ils sont là, debouts, couverts de sang à côté d'une voiture défoncée et fumante, un doux sourire sur les lèvres.

    La bête fasciste s’est fait prendre pour une fois. Mais comme l’hydre de Lerne, elle va réapparaître, ailleurs… On coupe une tête, mais il en sort deux autres. Qui pourra, comme Hercule, venir à bout de la bête immonde qui continue de frapper et à diffuser son venin fétide ? Je souris, Hercule commence par un « h » comme moi...

    -         Allez, viens. Dépêche-toi ! Nous sommes attendus.

     

    Je ne pose pas de questions. J’entre dans la voiture. Maurice se concentre, prévient par téléphone un interlocuteur anonyme de notre arrivée.

    -         Nous allons à la DCRI.

    -         A la DCquoi ?

    -         Direction Centrale du Renseignement Intérieur.

    -         Les RG, tu veux dire ?

    -        Oui, mais on ne les appelle plus ainsi. Ils enquêtent sur notre réseau depuis plusieurs années également, dans une structure indépendante de la Préfecture de Pétrys.

    Il répond encore au téléphone. Le coup de fil fini, il reprend.

    -        Une équipe de la DCRI enquêtait donc en parallèle sur cette affaire. Nous étions régulièrement en contact même si nous ne dévoilions pas l’ensemble de nos informations. De la même manière, nous avions des contacts avec d’autres agences de renseignements d’état ou privées à l’étranger. Ce devait être le cas pour eux aussi. Pour faire court, l’équipe en charge de cette enquête était sur le point de démanteler l’organisation. Les éléments que nous leur avons apportés depuis hier leur ont permis de pouvoir passer pendant la nuit à un certain nombre d’arrestations. Ils veulent recevoir notre déposition. Es-tu d’accord ?

    J’acquiesce en silence, avec la peur que tout ceci ne soit qu’un rêve.

    -        Qui ont-ils arrêtés ?

    -   Pas mal de monde. Les deux que tu connais et quelques autres membres qui travaillaient à la Préfecture, mais également des anciens membres du réseau depuis son début, ainsi que des industriels…

    -    Des anciens ? Qui auront peut-être connu René ? Ton grand-père aussi ?

    -        Oui, peut-être.

    Le passé, comme le présent, sur le banc des accusés.

    Nous arrivons en face d’un bâtiment moderne, sans charme, fonctionnel. Avant les bâtiments devaient durer. Aujourd’hui ils ne sont là que pour peu de temps, ne laisseront aucune trace, ne feront jamais partie d’une mémoire collective.

    Maurice montre patte blanche à l’entrée. Ils nous laissent entrer. Parking visiteur. Un nouveau contrôle d’identité. Je me sens mal à l’aise, comme si j’avais un truc à cacher, comme si j’avais peur de tomber dans un traquenard, un truc où comme dans Usual suspects, tu ne découvres qu’à la dernière image du film, le montage machiavélique d’un piège qui se referme sur toi. Je regarde Maurice avec défiance. Lui ne me voit pas, il avance, supposant que je le suis. Mon coeur vacille, le sol se dérobe.

    Nous entrons dans un bâtiment où un homme nous attend. Il semble connaître Maurice et lui parle avec une certaine familiarité. Son visage et sa voix me plaisent. Il se présente : Ian Gloasgen. Mon vertige cesse.

    Il nous mène à son bureau. Une pièce étroite, désordonnée, impersonnelle. Il nous fait nous asseoir. Pendant quelques minutes, ils discutent avec Maurice de manière informelle. Je comprends par bribes, le reste m’échappe avec une frustration que je trouve insupportable. On me laisse à mon ignorance.

    Au bout d’un moment, le policier se tourne vers moi et me demande si je suis prête à faire ma déposition. Je réponds un oui étranglé par l’émotion. Il commence à s’assoir faisant face à son ordinateur. Un collègue à lui entre et vient le remplacer devant l’ordinateur, Ian Gloasgen se contentant désormais de me poser les questions. Je me sens au bord des larmes, submergés par une joie intense mais également un immense sentiment de vide à savoir mes parents morts avant d’avoir vu cela. Parfois, au fil des questions, des larmes coulent, Maurice pose sa main sur mon épaule. Nous déroulons les événements depuis notre visite à la préfecture avec Mila, nous écoutons l’enregistrement que j’ai réalisé. Il remonte ensuite le temps, la caisse trouvée par Mila. Accepterions-nous de dévoiler son contenu ? J’interroge Maurice du regard, ne faisant plus confiance qu’en son jugement désormais. Oui. Il m’interroge sur mes parents. J’explique ce que je ne sais que depuis peu, j’explique le secret, j’explique leur mort, nos doutes à ma sœur et moi-même.

     

    Il me remercie. Je sors, ils continuent sans moi. Je n’aime pas, ce sentiment d’être laissée hors des choses. J’attends Maurice, assise dans le couloir. Nous sommes dans un lieu de pas feutrés. Les conversations sont chuchotées. L'envie me brûle de téléphoner à ma sœur. Je regarde mon téléphone, il ne capte pas. Je suis encore en dehors du monde, dans un lieu retranché, dans ce rêve éveillé, le moment du réveil s’approche. J’attends maintenant avec sérénité. J’éprouve même une légère fierté d’avoir porté le fer contre un ennemi de l’humanité, à une époque où ce mal est totalement banalisé et le combat contre lui ridiculisé, ringardisé avec toutes les armes de la communication moderne.

    Le silence est total autour de moi. Je m'appuie contre le dossier de ma chaise, les épaules relachées enfin...

     

    Oui, je sais d’où je viens, Josef, oui, je sais d’où je viens, Blanche. Oui, je sais quel était votre rêve Irène et René, Irma et Yakkov. Oui, je ne suis pas orpheline de ce rêve. Ce rêve, il est en moi, je l’ai fait mien, il est moi.

    Oui, je suis peut-être juive sans l’être tout à fait et en l’étant cependant, oui, je suis peut-être sortie d’un chemin tout tracé et je m’en offre un, plus sinueux. Oui, j’ai perdu des amours ou certains m’ont tourné le dos.

    Oui, mais je sais d’où je viens et aller où j’irai ne me fait plus peur. J’ai des espoirs plein la peau, des envies plein le sang.

    Je suis Hannah, fille de Josef et Blanche, fière d’être votre fille à jamais. De là où vous êtes, vous ne pouvez plus m’entendre vous crier mon amour. Je suis Hannah, fille de Josef et de Blanche.

     

    La porte s’ouvre, Maurice apparaît. Son sourire me consume. Il me prend la main. Une musique qui me trotte dans la tête nous accompagne dans le soleil couchant de cette soirée d’été.
    Un truc plein de rage de vivre :

    Tu nous entends la tristesse. Tu nous entends ?!
    Si tu nous entends, c’est que toi aussi tu vas bientôt faire ton sac.
    Prendre la première à gauche, deuxième à droite, puis encore à gauche puis aller niquer ta race.
    Fauves 

     

    Je suis Hannah, fille de Josef et de Blanche et ma vie me plait.

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