• Episode 12 : une ébauche de vérité, de celle qu'on n'attendait pas

    Réveil très matinal. Un corps à mes côtés. La mémoire par le toucher. Renzo. Je me rappelle de sa venue hier soir, de notre nuit. Je me mordille les lèvres. Peur que tout s’évapore comme la rosée du matin. J’ouvre les yeux, il est là, à me regarder. Je dois ressembler à un vieux chiffon tout froissé.

     Mais j’affronte avec un sourire courageux :

    -Bonjour, monsieur. 

    -Bonjour, Mam’zelle. Euh… Je peux faire un truc ? 

    -Oui.

    -Vous embrasser jolie princesse ?

    Il doit aimer les bidules qui ne ressemblent à rien le matin.

    -Ah non, c’est interdit !

    -Mince.

    -Dans le royaume d’Hannah, ce sont les princesses qui embrassent leur prince le matin.

    -J’adore ton pays décidément. Mais je suis un dingue et je ne vais pas respecter les règles.

     

    Ses mains chaudes m’attrapent le visage avec tendresse. Il plonge ses yeux dans les miens. Son regard est beau, je ne m’en étais pas aperçue avant… Il m‘enveloppe. « La courbe de tes yeux a fait le tour de mon cœur », ces poèmes qui vous reviennent au détour d’une pensée. J’oublie en un instant ma gène de me retrouver nue. Il m’embrasse avec douceur, des baisers légers sur les joues, les yeux, le front, les lèvres. Je m’arrache à son étreinte. Je m’agenouille, lui offrant le spectacle impudique de ma nudité. Ses doigts m’effleurent. Je reste là, comme une statue qui se laisse adorer. Mais la Vénus chiffonnée ne résiste pas longtemps. Le temps se suspend de nouveau.

     

    Plus tard, nous improvisons un petit déjeuner, car je n’ai pas eu le temps de faire les courses depuis mon retour de Prague. Un premier matin. Important le premier matin pour deux amants. Les corps sont endormis, l’esprit s’est perdu dans la nuit.

     Il ne me lâche pas du regard. Je fuis courageusement son regard en allant choisir un morceau à écouter… Que choisir ?...Je mets un son enveloppant, matinal et dont les paroles me parlent Break some bread, the night’s been blessed dans End come too soon de Wild Beats. Je reviens vers lui.

    -Renzo, au travail, on fait comment? Sages ?

    -Je suis un garçon désespérément sage…

    -J’ai pas remarqué cette nuit…

    -Bon, alors voilà comment on va procéder. Je vais te faire l’amour avec les yeux toute la journée. Extrêmement érotique comme situation. 

    -N’importe quoi. 

    -La vérité ?

    Il a décidemment toujours ce mot à la bouche. Il continue :

    -La situation n’est pas idéale, même si elle m’a permis de te connaître. Ca ne me dit rien du tout de jouer la comédie. Je n’ai pas envie de cela entre nous. Je viens de t’avoir nue dans mes bras toute la nuit, je n’ai pas du tout envie de te voir à distance… Mais voilà…

    -Moi, je ne jouerai pas la comédie. Je suis heureuse de voir toute la journée le grand nigaud qui m’a aimée toute la nuit.

    -Oui, eh bien merci Hannah, pour le compliment, et d’ailleurs le grand nigaud va rentrer chez lui, reprendre forme humaine et puis aller au boulot pour licencier sa princesse. T’es un peu dingue de coucher avec le salopard qui te fait perdre ton travail, non ?

     

    Arrivée au travail, je n’arrive pas à ôter une sorte de sourire mièvre, collé sur mes lèvres. Avec la bande du café, j’essaye d’écouter la conversation mais mon esprit est absent. Le téléphone sonne. Mila, ma sœur.

    -Hannah ? Faut que tu viennes chez nous, dès que possible.

    Depuis le décès de mes parents, Mila vit dans la maison familiale avec son fiancé. Ils sont morts dans un accident de voiture, il y a trois ans de cela. Je n’aurai jamais pu continuer à vivre dans cette maison. Il a fallu que je parte, trop de souvenirs.

    -Mila, rien de grave ?

    -Je ne peux rien te dire au téléphone. Je suis dans le grenier, je rangeais des trucs et je viens de tomber sur une boite. J’ai le vertige. J’ai tout refermé. J’attends que tu sois là.

    Les brumes de ma nuit disparaissent, tant j’ai senti dans la voix de ma sœur la peur et l’angoisse. Je vais voir Renzo pour lui demander si je peux m’absenter. J’ai envie de lui voler un baiser malgré tout mais Jean est encore là…

    -Ok, je t’appelle plus tard.

     

    Dans le train de banlieue qui m’emmène vers la maison de mes parents, je sens comme un poids croître dans mon cœur. J’essaye de l’évacuer en invitant Renzo dans mes pensées. Mais en vain. Une sorte de certitude de ce qui m’attend mais que je n’ose formuler. Comme si mon insouciance allait disparaître à jamais.

     

    Je sonne à la porte. Mila m’ouvre, elle est seule, Renaud est parti travailler. Elle est en congé maternité et attend des jumeaux. Ses yeux sont noyés de larmes, je la prends dans mes bras en silence. Ma petite sœur chérie, ne pleure pas…

    Elle m’emmène sans être capable d’émettre un son dans le salon. Sur la table basse, une caisse en carton. Elle me la montre d’un doigt tremblant. Je retire mon manteau, je m’assieds, je respire à fond comme une ultime hésitation et ouvre la boite.

    J’y vois des photos, anciennes, je reconnais immédiatement certains personnages, des documents divers, très vieux et un dossier. Je le prends. Etrangement calme.

    -Oh lala lala, fait Mila avec la main qui bat l’air. Je pose ma main sur son genou. On se regarde. Je lui souris. Elle sourit au milieu des larmes qui ne cessent de couler. Un truc de famille ces larmes en abondance.

     

    J’ouvre le classeur et le lis en silence. Pendant plusieurs heures. Mais mes yeux ne se détachent pas de ce que je lis. Parfois Mila se lève, m’apporte des boissons, des gâteaux pour calmer son angoisse.

    Je referme enfin le dossier. J’ai tout lu. Je ne sais rien, véritablement. Mais je sais que tout ne sera jamais plus comme avant.

    Un nom aussi : Maurice Rappoport. Un autre accolé : Emet. Comment, malgré mon amour irraisonné du rationnel, ne pas croire au destin ? !

      

    J’ose affronter le regard de Mila. Elle attend. Je la vois avec son gros ventre comme une fleur prête à éclore.

    -Mila… Je n’ai pas compris grand-chose. Il s’agit sans aucun doute de choses sombres. Mais il y a une chose terrible qui n’est pas écrite noir sur blanc dans le dossier mais dont j’ai l’absolue certitude à présent : nos parents ne sont pas morts …par accident.

    Elle s’effondre, les paroles fusent dans tous les sens. Je l’allonge, lui dégrafe son soutien-gorge pour lui permettre de mieux respirer. Je lui caresse le front, comme notre mère nous faisait lorsque nous avions nos chagrins d’enfant. Elle se calme.

    -Mila…Ne voudrais-tu pas donner le nom des parents à tes enfants ?

    -Oui, on y pensait avec Renaud. Mais, Hannah, il faut qu’on sache qui, pourquoi…Je veux la vérité ! On ne peut pas vivre ainsi !

    -Emet.

    Mila ne parle pas yiddish. Je lui explique en lui montrant le mot qui apparait sur plusieurs feuilles du dossier.

    -Toi, tu nous fais les deux plus beaux bébés que la Terre puisse porter. Moi, j’emmène le dossier chez moi et je te promets que nous comprendrons ce qui s’est passé.

    -J’aimerai t’aider mais je suis comme une baleine…

    -Non, il n’en est pas question. Je te tiens au courant sur tout.

    On se sert dans les bras l’une de l’autre. Il manque quatre bras dans cette étreinte, celle de ce père et de cette mère que j’ai si souvent repoussés du temps de leur vivant.

     

    Renzo appelle. Je réponds. Quel étrange moment pour entrer dans ma vie ! Mais un soir comme aujourd’hui, je ne peux rester seule avec mes cauchemars.

    J’explique à Mila les derniers événements.

    -Je ne suis pas un modèle de stabilité.

    Comme un besoin de me justifier. Elle reste un instant silencieuse.

    -Ton besoin irrépressible d’être dans ta vérité comme mon besoin maladif de constituer un foyer ont une même origine. Deux réponses dissemblables à une même angoisse.

    Elle montre le dossier que je tiens dans les bras.
    -Tout est là.

     

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