• Episode 8 : once upon a time, there was Prague

    Episode 8 : once upon a time, there was Prague

    Prague et moi, une longue histoire. Une histoire entre deux timides. Une fille qui vient plusieurs fois, à chaque fois un peu plus loin et une ville mystérieuse qui se laisse découvrir doucement.

    Il y a longtemps, j’avais eu un choc.

    Un choc littéraire, avec deux livres. Le procès de Kafka et par je ne sais quel hasard de la vie, le livre lu juste après fut Le Golem de Meyrink. Deux livres se passant à Prague dans une ambiance, moite, morne, crasseuse. Absurde et sans espoir pour le premier, étouffante, sensuelle et mystique pour le second. La dernière page du Golem lue, je prenais un billet de train pour Prague. Seule.

    La première fois. Un hôtel minable dans le quartier Josefov. Prague encore préservée des affiches publicitaires. Je me ballade dans les rues du vieux quartier juif, les synagogues, les vieilles maisons vétustes, le cimetière. Mais trop de touristes. Déçue. J’aurais voulu les rues pour moi seule, entendre mes pas inquiets sur les pavés.

    Alors quitte à jouer la touriste, je parcours le pont Charles, le château. Je vois les lieux « à voir ». Le charme est là, mais pas à la hauteur de mes rêves. Je retourne d’où je viens et je sais qu’il me faudra revenir.

     

    La seconde fois. Une auberge de jeunesse tenue par un père et son fils. Un problème de chambre, il me faut changer deux fois de chambre. Pour s’excuser le fils, Filip, qui étudie l’histoire de l’art, m’emmène visiter son Prague. Il a les clefs de lieux incroyables, il m’ouvre des tours secrètes qui donnent une vue extraordinaire sur la ville, il me fait découvrir des parcs abandonnés. Je le suis, je fais des photos. Filip est là mais ne me parle presque pas. Les lieux m’imprègnent. Je respire enfin le Prague que j’avais fantasmé. Cela m’enivre.

    En revenant du magnifique cimetière art nouveau de Vysehrad, je vois Filip qui m’attend à l’entrée de l’auberge de jeunesse. « Tu veux venir manger avec moi ? » Timide mais j’accepte.

    Il m’emmène dans un bar en sous-sol. Des amis à lui l’y attendent. Mon dieu, devoir parler à tous ces gens inconnus… Courage cocotte… Je m’assois en bout de table mais on me fait me lever et on m’installe au milieu. Tout le monde a l’air sympathique. Plutôt grands, des visages allongés, des yeux valochés. Je les trouve beaux. Sortie de ma rêverie par la serveuse qui me parle en tchèque et devant mon regard en point d’interrogation, elle m’amène d’office une assiette pleine de goulash. De quoi ? Je ne sais. Je souris. Elle me pose l’assiette et revient deux secondes après avec une énorme chope de bière. Je ne comprends rien à ce qui se dit autour de moi. Je regarde Filip. Je lui souris pour lui faire comprendre que tout va bien. Je mange et la bière fait son effet : une sorte de somnolence agréable. Les rires et le flot de paroles d’une langue qui m’est totalement inconnue me berce.  Je suis là et en dehors de « là ». Spectatrice d’une scène dont je fais pourtant partie. C’est très agréable. Au bout d’un moment, une femme, Ludmila, me parle en mélangeant de l’anglais et de l’allemand. Je lui demande si elle connaît Ludmila Outlitskaïa, une auteur russe. Elle éclate de rire. Devant son rire, les autres lui posent des questions et tout le monde se met à rire avec elle. Filip crie par dessus la table que c’est à cause de cet écrivain qu’elle porte ce nom. Je souris. « Tu sais, Hannah c’est tchèque aussi. » « Oui, Hannah c’est un nom internationaliste. » La soirée continue, délicieuse. Filip et ses amis me montrent un Prague réel, contemporain, non idéalisé. Mais c’est comme si les pages des livres lus passaient derrière eux en filigrane. Prague reste toujours une ville poétique et à part grâce à cette soirée. Filip me ramène à l’auberge alors que je tiens à peine sur mes jambes, ronde comme un ballon, trop de bières pour un corps peu habitué à en boire. « Je sais bien ce que tu veux, Filip. » « Ah oui… ? » « Embrasser Hannah. » Il s’arrête et m’aide à m’asseoir sur un banc. Nous sommes prêt du quartier juif. Il doit être quatre heures du matin. Il n’y a personne dans les rues. On entend au loin résonner sur le pavé les pas des rares passants. Il reprend son souffle. « Non Hannah, je ne veux pas t’embrasser. » J’écoute le silence, j’essaye de ne pas m’évanouir. Je crois que j’ai honte, honte d’être saoule, honte de ce que je viens de dire. « Hannah, tu me plais beaucoup. Mais tu pars demain, je le sais, c’est comme ça. Je n’embrasse pas une femme qui part. » Il sourit de sa phrase. Je souris aussi. Nos sourires se transforment en rire. Il s’assoit à mes côtés. Me prend dans ses bras. On reste là à écouter le calme envoûtant de la ville. « Est-ce que la ville est vraiment mystique ou est-ce que mes lectures trahiront pour toujours ma vision d’elle? » « Prague est une petite ville, tu sais, mais elle reste secrète. Chacun se construit sa ville, en fait... Pour moi… Comment dire ?… C’est une ville de solitude et de fraternité. Le passé y est littéraire, artistique et politique. Je suis né après le fameux printemps mais ça fait partie de moi, je ne sais pas si tu peux comprendre.» L’histoire des autres qu’on n’a pas vécu mais qu’on porte en soi, une histoire même faite d’un silence douloureux. Je sais, je comprends. « Filip, je suis désolée d’avoir trop bu. » « Hannah, je suis désolé de te voir partir. »

    Je partais le lendemain avec l’impression de quitter pour toujours un lieu qui resterait en moi à jamais.

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