• Episode 7 : Hannah joue les filles de l’air

     

    Episode 7 : Hannah joue les filles de l’air

     

    Les jours suivants passent très vite, dans l’excitation du départ. Je devrais angoisser de la mission qui m’est confiée. D’une part parce que je flippe toujours quand quelque chose de nouveau arrive et que j’ai systématiquement l’impression que je ne vais pas être à la hauteur. Et d’autre part, Marco ne sera pas là si jamais le blues antonien revenait.

    Mais je n’y pense pas. Je pense au voyage. Je vais partir loin d’ici et c’est la seule chose qui importe.

     

    Le jour du départ arrive. Franck me propose de m’accompagner à l’aéroport. Ben non, ça va pas être possible… Comme s’il avait compris que je n’étais plus en couple avec son radar de célibataires ultra-puissant. Marco m’accompagne avec sa 2CV. On fait vraiment anachronique dans cette ambiance aéroportuaire futuriste. Ca me rappelle mes grands-parents et leur « deux-pattes » comme ils l'appelaient. Ma grand-mère posait ses pieds sur le tableau de bord, sa clope au bec. Autrement dit, la grande classe ! Elle me faisait peur, à tout le monde d’ailleurs je pense. Pas pour les mêmes raisons. Bref… Je sors ma valise du coffre, ma sacoche de boulot, je vérifie mon billet et mon passeport pour la dixième fois dans mon sac à main, soudainement en panique.

    -« Tiens, prends cela, je t’ai fait une compil spéciale PRAGUE... Et tu fais QUOI ce soir ? »

    -« Je t’appelle, promis. Heureusement que je n’ai plus ma mère, j’aurai l’impression d’en avoir deux… »

    -« Donc ce soir, tu m’appelles, et puis… tu repères tous les beaux mecs de l’hôtel... »

    -« Gotteniu !… Arrête ça ! Pas de mecs pour le moment.»

    -« C’est con que tu ne sois pas catho, je te trouverais un couvent dans l’heure ! »

    Bon je le prends dans mes bras, en lui plaquant une bise généreuse et bruyante sur la joue. Il arrête de parler. Un petit signe presque timide de la main alors que je m’en vais.

    -« T’inquiète, je ne t’abandonne pas, je reviens dans quinze jours maximum. Ciao Amore !»

    J’enregistre mes bagages, je passe la douane, je repère ma zone d’embarquement. Machinalement. Encore une heure à tuer. Je flâne dans les boutiques duty free. C’est étrange cette ambiance ou plutôt cette absence d’ambiance qu’on retrouve dans ces lieux de transit, partout dans le monde. J’achète quelques revues, dont Causette, en féministe titi parisienne que je veux être. Je marche inlassablement pour combler l’attente. Je m’ennuie. On annonce enfin l’embarquement. Je suis contente comme une môme qui prend l'avion pour la première fois.

     

    L’hôtesse m’installe côté fenêtre. Une grosse dame s’assoit à mes côtés. Je souris en pensant à Marco qui m’imaginait déjà faire une rencontre torride dans l’avion. On décolle. A chaque fois, j’éprouve cette peur et cette excitation de sentir qu’on quitte le sol. Je regarde les autres voyageurs. Certains sont comme moi, émerveillés. L’Homme, créature indisciplinée, qui se place au-dessus de sa condition de bipède collé au sol.

    Je mets la musique de Marco sur les oreilles. Il m’a fait une compilation ultra  sensuelle… Qu’il est lourd, c'est peu croyable ! Je souris. Cependant après un ou deux morceaux, Marco a gagné, je suis prise par ces ambiances différentes. On passe de « Madame rêve » de Bashung à « Muscles » de Diana Ross, en passant par une version interdite de « I wanna be your lover » de Prince. Mon guitariste préféré m'a ensuite mis des musiques légères, celles qui vous font dodeliner de la tête, tapouiller de manière incontrôlable le sol des pieds. Je manque d’espace. J’ai envie de bouger les bras, le buste, de faire tanguer mon derrière. Et le pire… de chanter… Je me contente de remuer les lèvres en silence, en prenant un air très inspiré. A ce niveau-là, c’est la honte intégrale! Mais je ne peux pas m’en empêcher. La musique a pris les commandes, ma drogue dure. Je n’avais pas éprouvé cette sensation depuis longtemps. Mon corps qui a envie de bouger. Sur Baby I’m yours de Breakbot.

    On amène le repas. Je mange en silence, en regardant par le hublot le paysage qui défile en bas, miniaturisé… Devant ce spectacle muet, Je commence à rêvasser. Ma pensée s’arrête sur : moi perdue, assise en pleurs sur un banc, à cause d’un mec. D’un mec parti pour une autre. Une colère m’envahit d’un seul coup, les joues en feu, à regarder la fenêtre de l’avion comme si elle était la cause de mes tourments.

    « T’es qu’un pauvre lOoser, Ducon. »

    J’ai l’illusion de l’avoir en face de moi, assis à l’extérieur, sur l’aile de l’avion, transit de froid.

    «Un merdeux, un pauvre type, un connard, un enfoiré! »

    Je n’insulte jamais d’habitude. Hummmm, ça fait du bien. Mon punching ball des mots. Ca me reprend !

    « T’es un vrai blaireau, une sous-chiure, un crevard, un insignifiant déchet, une saloperie sans nom … »

    Tout y passe… jusqu’à l’atterrissage. Un flot ininterrompu d’insultes.

    Mon vol m’a permis de régler son compte à Antoine, réduit désormais à une sorte de chose informe, ridicule, malodorante. Quel soulagement ! La femme à mes côtés me regarde mal à l’aise. J’ai peut-être dit tout à voix haute ! Je suis vraiment à côté de mes pompes. Mais soulagée.

     

    Prague me voilà… Ou me revoilà plutôt.

    « Episode 6: Woman at workEpisode 8 : once upon a time, there was Prague »