• Episode 3 : une discussion bien nocturne

    Episode 3 : une discussion bien nocturne

    A peine dehors, la nuit m’enveloppe dans un froid humide. J’aime cette bruine sur mon visage, comme si elle lavait ma peau de ses douleurs, sensuelle. Peut-être me faudrait-il une pluie battante, qui me rince jusqu’aux os. Je ne sais pas. Je penche pour la douceur.

    Chez moi, je me déshabille. Mon corps dans le miroir sous une lumière sans concession. Suis-je belle ? Je n’aime pas mon image. Je me détourne et me cache dans un pyjama sans forme. Chaussettes de laine taille XXL. Ambiance suédoise au plus profond de l’hiver.

     

    J’allume mon ordinateur, ce que je n’avais pas fait depuis quelques jours. Un mail de lui… Que faire ? Il est là, à portée de clic. Je bouge mon doigt. Poubelle. Je ne le lirai pas. Première décision depuis son départ. Je sens des larmes qui coulent le long de mes joues, silencieusement. Ça va être long et pénible.

    J’éteins le portable. Je me sors un verre, je le remplis de Madiran. Je m’installe dans mon fauteuil-club, un casque sur les oreilles. Cat Power Cherokee à fond. “Bury me, mary me to the sky”. En boucle jusqu’à écœurement. Je passe ensuite à Benjamin Biolay La Superbe. « On flaire la flamme singulière ». Je pensais que nous étions différents, meilleurs que les autres. Péché d’orgueil ! Je ne nous ai pas vus mourir, devenir ces étrangers, ces êtres communs liés par un sentiment sans saveur. Je continue à choisir mes morceaux avec précision, les laissant prendre possession de mes sens, mettre ma peine en musique.

     

    Soudain, alors que je change de musique, j’entends qu’on frappe à la porte. Je sais que ce ne sera pas Antoine. J’ouvre la porte, Marco entre, encore enveloppé par la nuit glaciale. J’enlève le jack de la chaîne, le son explose dans la pièce. Je me précipite pour baisser le volume. Bob Marley nous berce. Chances are.

    -« Je sais, je suis partie, désolée… »

    - « Je n’ai rien à te reprocher, Hannah. Tu m’as accompagné, tu étais avec moi avant mon concert et au début, quand j’avais une boule au ventre. J’ai senti ton regard lors du premier morceau. J’avais besoin de toi quand tu étais là. Merci. Et quand je me suis aperçu de ton absence, j’avais pris mon envol. D’ailleurs, tu as bien fait de partir, Antoine est passé… seul. »

    Je reste comme glacée.

    - « Et puis une promesse est une promesse, ma douce. On s’occupe de toi maintenant.»

    -« Y a rien à en dire… »

    -« Hannah… »

    -« Tu veux une tisane ? »

    -« Oui, certainement… Dans 40 ans… En attendant le troisième âge, sers-moi donc un verre de vin, le même que toi. Allez, raconte.»

    Je me lève, lui remplit un verre de vin. Je m’arrête, offrant mon dos à Marco, plus simple pour vider mon sac.

    -« Eh bien, je sentais qu’il y avait un truc qui n’allait pas et puis, en le questionnant, j’ai compris. Il y avait une autre. Plus moi dans sa tête. L’amour était usé, tu sais, une histoire classique. » Les larmes reviennent.

    -« Depuis quand ? »

    -« Depuis quand quoi ? » en me mouchant.

    -« Depuis quand sentais-tu que ça n’allait pas ? »

    Je reviens avec le verre et me cale dans mon fauteuil, le menton sur mes genoux. Marco s’allonge face à moi sur des coussins. Je le regarde, je réfléchis, depuis quand…

    -« Je ne sais pas exactement. Longtemps. Un sentiment diffus, là, une sorte de gêne. »

    -« Tu t’éclatais au lit avec Antoine ? »

    -« Non, mais c’est quoi cette question ?! »

    -« Réponds. » Tranquille.

    -« Ben… Je ne sais pas… Je m’inquiétais peut-être trop de son plaisir pour m’inquiéter du mien… Et du coup, non, je ne m’éclatais pas. Ça te semble correct comme réponse ? »

    -« Ben le fait qu’une femme s’inquiète du plaisir de son partenaire, plus que du sien et plus que  lui ne le fait… Oui, je te confirme, c’est un grand classique. Je ne fais pas mieux… »

    -« Mais ce n’est pas juste cela… notre échec. »

    -« Certainement, mais peut-être à l’image de ce qui se passait entre vous, non ? Toi, trop à l’écoute, lui plus égoïste. »

    -« Ouais, un peu cliché, non ?  En fait, au fond, ce que je pense Marco, c’est que je suis juste une femme fade et sans saveur.»

    -« Alors là, pas cliché du tout comme spleen ! Bon, Hannah, on est copain depuis longtemps, non ? »

    -« Tellement copain que tu pourrais être homo, mon chéri ! »

     

    -« Tu fais de l’humour, bon signe… Eh bien pour ta gouverne, non, je t’assure que mon truc entre les jambes aime les femmes comme un dingue. Bon, donc, on a un truc entre nous spécial, qui fait qu’on ne le gâchera jamais en couchant ensemble. Mais je reste un mec. »

    -« Mmouiiii… Tu veux en venir où ? »

    -« Tu es mon amie, mais je suis capable de te voir comme un homme aussi. Voilà où je veux en venir... T’es tout sauf fade, je te trouve belle, oui, attirante… C’est ça, rougis… Et j’adore ta façon de penser, totalement hors cadre. »

    -« Tu me dis cela pour me remonter le moral, c’est gentil. Mais je suis peut-être tellement hors du cadre que je ne peux aller avec personne. Parfois je me sens juste trop différente.»

    -« Ben, cela rend le casting plus difficile, c’est clair. Mais, le type qui t’aura dans sa vie, dans son pieu est le plus chanceux des mecs. »

    Je souris, je le crois sincère. Je repense à mon image dans le miroir, je n’y vois que les imperfections, pas les choses qui peuvent plaire. Moralement, le même raisonnement s’opère.

    -« Je suis sure qu’au lit, t’es une bombasse. »

    -« Oh, arrête avec ça ! »

    -« En fait, j’ai compris ! Tu ne sais pas… »

    -« N’importe quoi ! »

    -« Tu ne sais pas ce que tu vaux au lit… Je te proposerai bien un test, mais c’est pas possible ce soir, j’ai mes règles. »

    -« T’es lourdingue, c’est juste pas croyable. »

    -« Prends-toi des amants, cela t’aidera à oublier. »

    -« Tu me vois avec un sex friend ?! »

    -« Non pas de sex friend, pire, des histoires d’une seule nuit ! Sans sentiment, où tu vas apprendre à ne penser qu’à toi. »

    Je le regarde avant de répondre. Il me rend mon regard, moqueur.

    -« Je comprends ce que tu veux dire et ce serait peut-être en fait la meilleure des solutions, mais il y a un petit problème, Marco ... Ce n'est pas moi. Moi, je suis toujours à fond, je ne sais pas picorer.»

    -« Apprends, apprends, apprends. »

    -« Et puis en plus là, tout de suite, l’idée de moi nue dans un lit avec un homme… »

    -« Ou sur le plan de travail de ta cuisine, avec une jupe en cuir… »

    -« Marco, arrête un peu avec tes fantasmes de série B ! Ce que je veux dire, c’est que j’ai la libido à dix pieds sous terre, si ça te va. L’idée même de …, beurk ! »

    -« Je pense que ta libido est en berne depuis longtemps avec Antoine, qu’il te faut reprendre ta vie, ton corps, tes sens en main… Provoquer le destin.»

     

    -« Oui… Mais est-ce que c’est encore acceptable aujourd’hui d’avoir le droit de pleurer un amour mort, de prendre le temps de faire le deuil de son histoire ? J’ai envie de pleurer, de prendre le temps de l’oubli. Pour oublier, c’est paradoxal, mais j’ai besoin d’y penser.»

    -« Ouais, t’as raison, t’as le droit mais c’est pas du tout tendance, ma douce. Mais comme je suis un type ouvert, pensons-y ensemble alors… »

    On se regarde en silence, la musique de Jose Gonzales pour silence.

    -« Raconte –moi toute ton histoire avec Antoine.»

    Je me lève chercher une nouvelle bouteille de vin. Marco s'allonge confortablement sur les coussins.

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