• Episode 18 : Renzo et son antre

    Episode 18 : Renzo et son antre

    Je rentre chez moi. Une douche. La deuxième de la journée. Tant pis pour la planète. C’est étrange de penser que se laisser fondre sous une cascade d’eau chaude, sans bouger, les yeux fermés, puisse remettre les idées en place. Chacun son rituel. Certains une bière assis sur leur canapé, à lire un journal. D’autres s’abrutir devant la télé. Moi une douche.

     

     Je m’essuie, satisfaite de cette journée. Elle laisse imaginer que la brume sur la mort de mes parents va se lever. J’ai aussi l’espoir de pouvoir œuvrer à cela. Heureuse également d’avoir partagé ce moment avec Mila, car les liens s’étaient distendus entre nous depuis le décès de nos parents. La douleur silencieuse nous ayant éloigné l’une de l’autre.

    Enroulée dans ma serviette humide, j’appelle Renzo, un peu intimidée. Depuis deux jours, il a toujours pris les devants. Je ralentis ma respiration d’angoissée du téléphone. Juste se dire que c’est un coup de fil normal.

    -         Bonsoir, c’est Hannah…

    Et là le vide… Quelle gourde !

    -         Bonsoir. Ecoute, je suis en voiture... Tu es chez toi ?

    -         Oui.

    -         Prépare tes affaires pour la soirée, je passe te prendre d’ici vingt minutes. Je t’embrasse.

    -         A tout de suite.

    Je raccroche. C’est encore lui qui a tout décidé. Ce type est en or. J’ai oublié de dire que je l’embrassais également. Je dois apprendre à devenir plus tendre.

    Vingt minutes, je passe côté chambre. Non ce soir, sexy Marilyn restera au placard, je sors un jean et un pull marin. Je prends un sac de voyage, j’y mets mon pyjama, avant de me reprendre et de l’échanger contre une chemise de nuit un peu plus féminine, ma trousse de toilette, une culotte propre, un livre que je retire également en me disant que je ne vais pas commencer à lire au lit à ses côtés tout de suite. Il risque de me trouver trop sage…

    Je descends les escaliers quatre à quatre, avant de me rendre compte que j’ai oublié le sac de « découcheuse » que je viens juste de préparer, de remonter donc le prendre avant de repartir encore plus vite dans le sens de la descente. Penser à s’inscrire d’urgence à un cours de yoga.

    Sous la pluie, Renzo est sur l’autre trottoir, il me fait un grand signe du bras. J’ai envie de sauter de joie, en faisant des claquettes sur le trottoir, à la Gene Kelly dans Singin’ in the rain, mais cela ne se fait pas. Je parviens en me faufilant entre les files de voitures à le retrouver. Je le sers tout contre moi, avant de lui écraser les lèvres d’un baiser baigné de pluie. Je sens mon maquillage descendre sur mes joues, je me détache de sa bouche et lui tends mon sac. Il me sourit mystérieusement, le prend, ouvre sa porte et lance le sac à l’arrière. Qu’est-ce que ce sourire ? Il se moque de ma joie spontanée ou bien il sourit à l’idée du truc qu’il va me dire ou me faire… Mince. Je monte dans la voiture. Je prends un mouchoir pour m’essuyer le visage. Pendant qu’il conduit sans parler, je regarde les gouttes d’eau glisser sur les vitres en traçant des lignes brisées et tremblantes qui s’échappent dès qu’elles le peuvent. J’ai peur d’être trop transparente et de montrer tous mes sentiments. Il est tombé amoureux ALORS QUE je l’ignorais, DONC il a peut-être besoin que je conserve de la distance. Ouh ! Que c’est gonflant tout ça. Hannah, du calme! Je continue l’observation des lignes d’eau sur la fenêtre.

    -         C’est quoi cet air sérieux Hannah ?

    -         Ah non rien… Et toi, ton sourire narquois et mystérieux ?

    -         Rien… Juste que je t’emmène enfin dans l’antre du loup.

    -         Oui, je vais enfin voir de quoi le loup se repait. Ses lectures, ses musiques, ses couleurs, son bordel ou son ordre.

    -         Oui, tu regarderas tout cela… Si cela ne t’ennuie pas, je n’ai pas eu le temps depuis deux jours de faire des courses ou de passer chez le traiteur. Tu veux qu’on aille manger au restau ?

    -         Je veux bien y aller un soir mais pas ce soir. Trop de choses à observer chez toi, tu penses…

    -         C’est ça, mets-moi la pression !

    -         Ben, sache que si tu es homme à ranger tes chaussures parallèlement, on risque fort de ne pas s’entendre…

    -         Bon, là pour le moment, je passe le premier examen. Mais toi aussi, tu vas devoir m’en dire un peu plus…

    -         Sur Marco ?

    -         Oui Marco et toi.

    -         Pas de souci. Je peux même te raconter ce qu’il s’est passé aussi aujourd’hui.

    Il me regarde sérieusement avant de fixer à nouveau la route.

    -         Ne le prends pas mal mais je veux qu’on parle du reste avant.

    Je ne réponds pas. Je pensais véritablement lui raconter ma journée, Mila, Maurice et Léon. Je suis un peu déçue. Il se gare. Lorsque nous quittons la voiture, il me prend la main, me la serre. J’oublie sa remarque pour revenir à l’excitation du moment.


    Immeuble magnifique. Le gris de la pierre est réchauffé par la couleur des boiseries et des vitraux. Le bâtiment ressemble presque à une église néogothique, mais les ouvertures sur la façade sont arrondies, presque féminines. La porte d’entrée est en forme de fer à cheval, construite dans un bois presque rouge ajouré de vitraux aux motifs de viornes.

    Nous entrons. Le hall est éclairé par les lumières chatoyantes des vitraux. Au fond du hall, un ascenseur.

    J’aime le cliquetis métallique de l’ascenseur, ce mélange de bois au vernis écaillé et de métal peint de noir. Nous montons. Il s’arrête brusquement, Renzo me tient la porte pour me laisser sortir de la cabine en galant homme. Je passe en me frottant à lui comme une chatte. Son bras m’enserre et me mène devant une porte en bois massif, clair cette fois-ci, sculpté là-aussi de motifs végétaux. Il l’ouvre grand et se retourne avec un grand sourire. Voici l’antre…

     A l’intérieur de l’appartement, du bois, du bois noble, du chêne peut-être, les murs blancs, des tapis épais aux couleurs chaudes. Des livres partout. J’enlève mes chaussures.

    -         Non, ne te sens pas obligée de le faire.

    -         Si, c’est une habitude.

    On se retrouve en chaussettes.

    -         Je ne t’avais jamais vu en jean, je pense.

    -         C’est sûr que non. Tu m’as vu en working girl et en apprentie séductrice ratée hier soir et c’est tout, mais pas en vraie Hannah. Tu ne m’aimeras peut-être pas ainsi ?

    -         Tu plaisantes ? Attends-moi, fais comme chez toi, je reviens tout de suite.

     

    Il file dans un couloir. Je regarde l’appartement, avec des gestes lents et silencieux, comme si je faisais quelque chose d’interdit. Il est beau. Il y a clairement des meubles qu’on imagine de famille, mais l’aspect général de l’appartement de Renzo n’est pas ancien. Tout est choisi avec goût, comparé au mien où j’ai dû acheter les meubles à l’arrache lorsque j’ai décidé de quitter un peu brutalement la maison familiale. Je n’avais aucun meuble. J’ai gardé seulement quelques objets dont je n’ai pu me séparer, quelques tableaux aussi. Pas de tableaux chez Renzo mais des photographies, en noir et blanc. On est dans le clair-obscur. Tendance ténébrisme, noir c'est noir, il n'y a plus d'espouar comme dit l'autre. Des visages, des corps, des sous-bois. Il y a du goût dans ses choix, mais cela ne rend pas son intérieur froid ou vitrine.

     

    -         Voilà, je suis moi aussi en vrai Renzo.

    Je rie, il porte comme moi son uniforme de touriste breton avec un jean et un pull marin. Il met ses mains à ma taille, cherche ma bouche avec la sienne. Je ferme les yeux. Il m’embrasse doucement, des baisers courts, qui se font plus longs. Je colle mon corps contre le sien. Ses mains commencent à remonter son mon pull pour caresser mon dos et maladroitement tenter de toucher ma poitrine. Je me recule, je lui prends les deux mains et les posent sur mes seins. Un frisson me parcourt.

    -         Ne veux-tu pas manger un peu avant Hannah?

    -         Si, je veux bien. Je n’ai rien dans le ventre depuis ce matin.

    -         C’est bien ce que je me disais, tu avais l’air plus maigrichonne que ce matin.

    Mais avant d’arriver à la cuisine, nos mains, nos lèvres, nos corps se rencontrent de nouveau et prennent le contrôle. Je me laisse aller à ce vertige intraitable. Je découvre le chemin de la chambre de manière hasardeuse et aveugle en laissant peu à peu nos habits nous suivre comme un fil qui suivrait notre désir. Si les autres soirs, il m’avait fait l’amour, ce soir, c’est moi qui prends les choses en main. Je le veux sous moi, qu’il me voit l’aimer, que je puisse lui apprendre à me donner du plaisir. Il se laisse faire, surpris peut-être, mais consentant. Il attend mes envies, les suit. Je sens que cela lui convient aussi. Tant mieux. Rien de plus ennuyeux que les rôles écrits à l’avance et de manière immuable dans un lit entre une femme et un homme. Ses mains sur mon corps se font plus fermes. Le plaisir vient d’un seul coup, sans que je m’y attende. Il me susurre des mots tendres au creux de l’oreille, redoublant mon plaisir. Le sien ne tarde pas non plus, dans mon corps devenu tendre et docile.

    -         Hannah, j’aime ton corps.

    -         Moi aussi Renzo, moi aussi. J’aime te faire l’amour.

    Lorsqu’une histoire débute entre deux personnes qui se plaisent, que la magie et le sacré s’en mêlent, on vit un peu hors du temps. Le temps file sans qu’on s’en aperçoive. La fatigue n’existe pas. Seule l’énergie amoureuse nous tient. Je reste là en silence avec Renzo, blottie contre lui. Une heure est passée sans que je m’en aperçoive. Il se redresse.

    -         Parle –moi de Marco. Cet homme que je trouve matin et soir dans ton chez toi.

    -         Marco et moi, c’est une très longue amitié, une amitié que je veux bien qualifier d’atypique mais amitié néanmoins.

    Il se cale semi-assis  sur un oreiller, m’attire contre son torse. Ma main caresse le fin duvet de son buste. Il nous couvre de sa couette. Je sens la tendresse de ce geste, j’en suis émue.

    -         Prends ton temps mais raconte-moi, que je puisse avoir confiance.

    -         Alors je te raconte…Marco.

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